Episode 1 - L’enveloppe

35 minutes.
Cela faisait 35 minutes qu’il poireautait, seul, à la terrasse du Cerf, au cœur de Neuchâtel. Il en était sûr. Elle allait encore se pointer, une gueule de bois monumentale, allait faire semblant de l’écouter, derrière ses lunettes noires et attendre une heure avant de déclarer qu’il lui fallait rentrer et se coucher.

Bon, non que cela l’embêtait réellement d’attendre. Depuis ces 6 derniers mois, et sa période de « non activité », il avait appris à prendre le temps, à le laisser passer, sans chercher à le rattraper.

36 minutes.
L’attente ne le dérangeait pas. Mais il avait quelque chose d’important à lui demander. Cela paraissait un peu futile, un peu bête.  Et il ne pouvait pas le faire lui-même. Les règles étaient strictes à ce sujet.

Il jeta un regard autour de lui. Il n’y avait pas foule aujourd’hui. En fait, c’était mieux ainsi. La mission qu’il allait confier à Cynthia devait rester discrète.

37 minutes.
Un détail le troubla soudain. Confier une mission à Cynthia, ok. Mais lui confier une mission « discrète », était-ce une bonne idée ? En un instant, il se remémora tous les secrets qu’elle avait révélés :

• Lu est enceinte
• Maud est enceinte
• Lu est enceinte
• Gilou est enceint
• Gilou n’est pas enceint, c’est la bière

Alors qu’il allait se décider à renoncer, une fille passa à vive allure devant lui, puis s’arrêta à son niveau.

« Hé, salut ! »

Cynthia se tenait là, visiblement en pleine forme. Deboss ne s’attendait pas à la voir aussi fraiche et resplendissante.

Cynthia :             Ça joue ou bien ? (pour des raisons évidentes de compréhension, le reste du texte sera traduit en véritable français)
Deboss :              Super et toi ? T’es allé au « Supermarket » hier soir ?
Cynthia :             Quoi ? A « la Superette » ? Non, je suis dans une phase de reconstruction psychique et physique. J’ai lu ça dans Newlook et je le suis à la lettre…
Deboss :              Dans Newloo…Quoi ? Depuis quand tu lis Newlook ??
Cynthia :             Ben quoi, d’où tu crois que je tire toutes les photos que je vous envoie sur Whatsapp ? Bon, c’est la version pour femmes, hein. Enfin, c’est surtout de Playmen, les photos… Enfin bref, j’y suis pas allé pour préserver mon voile sexuel intact…
Deboss :              Toi voile sexuel… ???
Cynthia :             Ben oui, mon voile sexuel ! Ma capacité à attirer des mâles, à choper quoi ! Je te jure des fois, on croirait qu’on n’est pas du même monde !
Deboss :              Ah ben, euh, justement, euh, écoute... J’ai un truc à te demander.
Cynthia :             Ahah, tu vois que mon voile commence à faire effet… Maiiiis désolé, je vais devoir te repousser… Eh oui, je dois repousser les 5 premiers prétendants pour permettre à mon voile sexuel de mûrir, tu comprends j’espère ?
Deboss :              Oui, enfin, oui, je comprends. Mais c’est pas ça… Mais, je veux dire, que ce n’est pas de ça dont il s’agit.
Cynthia :             Ah… T’es sûr ? Parce que je mange des petits pois crus depuis 10 jours, donc mon voile doit être pas mal, là… Bon écoute, on va faire comme si, du coup, il ne me restera plus que 4 mecs à repousser, ok ?
Deboss :              Si tu veux… Non, j’ai besoin de ton aide. En fait, je souhaiterais que tu ailles déposer cette enveloppe à la « Société des très très hautes familles de Neuchâtel ». Elle contient le dossier de ma famille, et après 4 siècles, il convient de renouveler notre qualité de notable, pour garder la particule... Mais un membre de la famille ne peut pas le déposer soi-même. Il faut un …euh…un…enfin, quelqu’un du..du. « peuple », comme ils disent dans le règlement...

Il avait rougi en disant le mot peuple. Cela lui déplaisait fortement, mais il fallait dire les choses clairement lui semblait-il.

Cynthia resta silencieuse.

Deboss :              …Cynthia ? Je dis pas ça pour rabaisser qui que ce soit. Je m’en fous de tout ça, tu le sais bien, hein ? Tu le sais ?

Cynthia explosa.

Cynthia :             Quelqu’un du « peuple » !! Je comprends mieux pourquoi tu faisais le lien quand je disais qu’on n’était pas du même monde. Mônsieur De Bosset ! Et tu viens me demander à moi, Tu t’es surement dit : « Tiens, je ne connaitrais pas quelqu’un du peuple ? Ah si Cynthia ! » . Je suis furieuse !!
Deboss :              Mais Cynth, je te dis, c’est pas pour ça. Il faut tu me crois !

Il poursuivit.

Deboss :              Ecoute moi, mon nom, c’est celui de ma famille, depuis des générations. Je ne veux pas en changer. En plus, je serais obligé de changer tous mes papiers, ainsi que toute ma famille, si tu ne déposes pas cette enveloppe. Je veux dire que c’est juste une enveloppe à poser à leur réception, et c’est tout. Et je pourrais simplement garder mon nom. Rien de plus. Je ne crois à ces conneries de noblitude. Ça n’existe pas. Mais aide moi, j’ai besoin de toi.

Cynthia regarda Deboss dans les yeux. Il était sincère, mais sa colère était encore bien là. Elle se leva, pris l’enveloppe d’un geste rageur, et s’en alla sans se retourner.

Deboss  la regarda partir, et balbutia un merci. A son tour, il se leva, alla payer et rentra chez lui.